Rue des fantasques, d'André Blanc --- Respect des trois piliers: cul, pouvoir et argent!

Publié le par Paco

Rue des fantasques
André Blanc

Éditions Jigal / 2018
262 pages

Bon, je vais réellement tout faire pour être objectif et neutre. Mais il faut savoir qu’un homme, dans ce polar, me donne la chair de poule depuis ses débuts. Le commandant Guillaume Farel, de la PJ de Lyon, qui évolue contre vents - tempétueux ! - et marées - plutôt imprévisibles ! -, avec une niaque à présent légendaire, est le personnage qui me transmet le plus d’émotions. Il faut savoir aussi que j’entretiens une grande amitié avec ce flic... (l’auteur comprendra !)

À présent, - et c’est là que le challenge devient intéressant -, il ne faut surtout pas qu’il me déçoive !

Farel est un flic doté d’une autorité naturelle. Pas besoin de « se la jouer », ni d’essayer d’incarner un rôle de chef : c’est un chef. Intuitif, persuasif, très à l’écoute - vis à vis de tout le monde ! -, il avance continuellement, sans vraiment s’arrêter. Étant un ex-commando, il ne faut pas vraiment le faire chier non plus. La police n’est pas l’armée, c’est sûr, mais certains automatismes, physiques ou psychiques, ne s’évaporent pas d’un simple claquement de doigts.

Bon, étant donné que je parle de Farel, c’est bien lui qui lèvera le rideau sur le premier décor de ce polar : la rue des fantasques. Premier acte ? Une femme assassinée, puis défenestrée du 7ème étage d’un immeuble. Dans le couloir, une deuxième personne est retrouvée, toute aussi morte. Le cerveau de Farel, positionné sur chasse, tourne déjà à plein régime. L’ombre d’un gibier se déplace déjà en filigrane devant ses yeux de justicier.

Beaucoup de réalisme dans cette introduction. Tout est analysé, prélevé, figé et observé. Je relèverais juste le fait qu’un ou deux détails de tactique d’intervention de police manquent un peu de crédibilité. En tant que lecteur flic, je n’arrive pas à en faire abstraction !

Bon début d’intrigue ! Deux morts violentes, pas trop d’éléments, tout reste donc ouvert. Un flic, intuitif, essaye tout de même d’aller un peu plus loin que ce qu’il a devant les yeux. Oui, ça donne envie de tourner les pages qui mènent au 2ème acte !

L’auteur est très méthodique pour nous conduire au centre de cette enquête. Je n'y vois pas d’éléments superflus, c’est très factuel et très pro. En toile de fond, par contre, nous sommes continuellement dans l’âme de Farel, à « l’écouter penser ». Celles et ceux qui le découvre ici comprendront que cet homme traîne un lourd passé. Nous sommes alors sans cesse balancés entre du factuel et de la nostalgie. Cette ambiance morose, qui s’accroche à nous, donne beaucoup de profondeur au récit et d’épaisseur aux personnages. J'ai mis le terme personnages au pluriel, car il n'y aura pas que lui qui aura le courage de se confier !

L’enquête est linéaire et très claire. Les schémas « standards » sont respectés, par exemple pour ce qui a trait aux recherches d’infos sur les victimes, leur vie qu’on déroule, qu’on découvre et qu’on exploite. À contrario, c’est vrai que cela prend du temps, le rythme fait quelques soubresauts et peine encore un peu. Mais tel un moteur diesel, une fois que le moulin tourne, il ne s’arrête plus. Cette intrigue sera pour moi à l’image de ce moteur.

Très vite, nous allons nous diriger vers des sphères très prisées par l’auteur, où se mélangent le pouvoir, le monde politique (ceux qui se sentent pousser des ailes et des paires de couilles), l’aspect financier ou encore l’argent public. Comme nous ne sommes pas naïfs, - l’auteur encore moins -, nous comprendrons bien assez vite que tout ceci va virer vers le 3ème acte, vers la malversation, l’abus de pouvoir, soit vers un bel amas compact de pourriture pas très noble. Triste réalité ? Ce n'est pas à à moi de vous le dire, mon devoir de réserve est sacré...

André Blanc, par la grande dextérité dont font preuve ses personnages, surtout quand il s’agit de voler de l’argent à l’Etat, va nous présenter un plan diaboliquement bien monté et quasiment infaillible. Je ne vous en dis pas plus, à part peut-être le fait que cela implique la fameuse taxe Carbone et que cette magistrale fraude, bâtie sur une malversation liée à la TVA, est basée sur des faits bien réels (2007 - 2009).

Niveau ambiance, c’est du lourd. Les interrogatoires sont d’une subtilité ahurissante. On les vit intégralement et intensément, comme si nous étions un flic supplémentaire dans la salle, également en charge de l’affaire. Et pourtant, cela ne doit pas être aisé de coucher sur papier de telles interactions ! Bien joué.

Le gratin politique de cette belle France va passer à la trappe - ouverte d’un bon coup de pied par l’auteur ! Les actes commis dans cette intrigue ne pourront que vous apporter du dégoût et une puissante aversion pour les élus qui évoluent ici. C’est encore une fois subtile, livré avec beaucoup de discernement et fort bien étayé. Tellement bien étayé qu’on se croirait dans la réalité des choses. Peut-être est-ce le cas... ?

André Blanc, avec de l’agilité et, à présent, un savoir-faire qui est en constante évolution, nous bascule dans les arcanes d’une nouvelle pègre, un milieu qui s’adapte sans cesse aux nouvelles technologies. Certaines affaires rapportent désormais beaucoup plus avec, si l’on sait y faire, beaucoup moins de risque. Mais, évidemment, tout cela laisse des traces et la prudence reste une arme performante pour ne pas être inquiété.

Tout va se jouer sur ce point mais, lorsque plusieurs entités entrent en scène, à savoir mafieux de l’Est, très prudents, organisés et habiles, personnages du gratin politique, nettement moins prudents car trop sûrs d’eux (paire de couilles qui poussent), ou encore petites frappes régionales, la prudence devient presque une illusion.

Et lorsque le cul vient se joindre à la partie, certaines qualités propres à chacun deviennent, comme par magie, inexistantes. A partir de là, les trois piliers qui mènent le monde sont réunis : cul, pouvoir et argent.

Tout ceci nous conduit vers le dernier acte: manipulations, réorientation des informations et révélations. Cette subtilité additionnée de complexité me plaît énormément. L’auteur est méthodique, précis - très cartésien ! - pour déplier, pan par pan, les détails qui nous mènent inexorablement vers ce que nous désirons connaître.

C'est ce que j'appelle une lecture intelligente, à savoir qu'il faut tout de même agiter un peu vos neurones. Dans la plupart des polars d'André Blanc, on en apprend beaucoup. Il faut dire qu'il y a énormément de réalisme dans ses histoires ! A présent, si des personnes se sentent visées, c'est leur problème...

Bonne lecture.

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G
Merci pour cette superbe analyse.
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